le compte n’y est pas


C’est un signe encourageant pour la transparence comptable. En théorie. Le commissaire aux comptes de certains organismes faisant appel à la générosité du public doit désormais vérifier que leurs comptes annuels font l’objet d’une publication sincère. Issue de la loi de 2021 visant à améliorer la trésorerie des associations (article 10 de la loi n° 2021-875), cette obligation s’impose aux contrôleurs légaux des comptes des entités soumises légalement à la présence d’un commissaire aux comptes et dont le montant des ressources collectées (via la générosité du public) excède 153 000 euros.

Révélation éventuelle au procureur de la République

Dans un avis technique récemment publié, la CNCC (Compagnie nationale des commissaires aux comptes) considère que la vérification par le Cac de la publication sincère des comptes de ces organismes s’impose aux « comptes annuels du dernier exercice clos certifiés et approuvés par l’organe délibérant statutaire des entités visées et publiés à compter du 3 juillet 2021 — la loi ayant pris effet le 3 juillet 2021.  Selon la CNCC, le défaut de publication sincère peut conduire le Cac notamment à signaler cette irrégularité à la prochaine réunion de l’organe délibérant (cf article L 823-12 du code de commerce). Selon elle, cela peut aussi amener ce professionnel, dans certaines situations, à procéder à une révélation au procureur de la République.

Un dispositif adopté contre l’avis du gouvernement

Ce contrôle spécifique du commissaire aux comptes n’était pas prévu à l’origine de la proposition de loi visant à améliorer la trésorerie des associations. Il vient d’un amendement du Sénat, légèrement modifié par l’Assemblée nationale, adopté contre l’avis du gouvernement. Ses auteurs se sont appuyés sur Icône PDFun rapport de 2017 de l’inspection générale des affaires sociales (Igas) consacré à la transparence de l’emploi des fonds provenant de la générosité publique.

« Pour les associations et fondations qui ont l’obligation de publier au Journal officiel leurs comptes et notamment le compte d’emploi des ressources, ainsi que le rapport du commissaire aux comptes, moins de 30 % des associations et fondations recensées respectent l’obligation de publication en incluant correctement le compte d’emploi des ressources, pointait l’Igas. Le respect des obligations de publicité n’est pas systématiquement vérifié par les commissaires aux comptes, qui ne sont pas investis d’une obligation formelle de vérification sur ce point », est-il ajouté. Résultat : l’Igas recommandait de faire de la vérification de la publicité des comptes annuels de ces organismes une diligence obligatoire du commissaire aux comptes.

Camouflage illégal des comptes des sociétés

Peut-on faire un parallèle avec la situation des nombreuses sociétés qui camouflent illégalement leurs comptes annuels ? Et pourquoi pas débattre de l’intérêt de rendre obligatoire, pour ces entités-là, le contrôle par le commissaire aux comptes du dépôt des états financiers annuels lorsque la présence de ce professionnel est imposée — si tant est que cette mesure soit bénéfique à cet objectif de transparence comptable ?

Rappelons que pour l’exercice 2013, il y avait, selon Icône PDFun rapport sénatorial, 42 % de sociétés qui planquaient illégalement leurs comptes annuels. Cette année-là, sur les 1,872 million de sociétés soumises à l’obligation de dépôt des comptes au RCS, seules 1,085 million s’y étaient conformées. Plus récemment, la Commission européenne s’est penchée sur le sujet. Selon elle, il y avait en France potentiellement, pour l’exercice 2016, 60,8 % de sociétés dans l’opacité comptable illégale.

Un problème que soulevaient l’année dernière les deux auteurs du Vernimmen, un ouvrage sur la finance d’entreprise. « Il existe en France l’obligation pour la plupart des sociétés de déposer au greffe du tribunal de commerce leurs comptes annuels. En pratique, force est de constater, selon les départements, qu’entre la moitié et les deux tiers des entreprises déposent effectivement leurs comptes et que les autres s’en abstiennent », déploraient Pascal Quiry et Yann Le Fur. Pour eux, la publication des comptes annuels relève de l’intérêt général. « Les créanciers peuvent mieux apprécier la solidité de leurs débiteurs, les entreprises vérifient à l’avance la solvabilité de leurs prospects, les tribunaux de commerce détectent à l’avance les entreprises en difficultés, l’investisseur y trouve des cibles d’investissement et le quidam y assouvit sa curiosité », développent ces deux spécialistes.

Sur la base de la directive comptable de 2013 (Icône PDFdirective 2013/34/UE), il est en principe obligatoire de publier les comptes annuels des sociétés dont la responsabilité de tous les associés, directs ou indirects, est limitée. Parallèlement, un autre cadre européen impose aux sociétés cotées sur un marché réglementé de publier leurs états financiers annuels. Mais pour ces entités-là, il n’y a pas, contrairement aux sociétés non cotées, de sujet dans la mesure où elles respectent cette obligation de transparence comptable.

La publication des comptes annuels des organismes faisant appel à la générosité du public ne relève pas de ce contexte européen. Dans son rapport, l’Igas met en avant la nécessité d’assurer, via la publication du compte d’emploi des ressources, la transparence de l’usage des fonds faisant appel à la générosité publique.

Cet aspect se manifeste-t-il pour les sociétés (non cotées) tenues de déposer leurs comptes annuels ? Pas précisément mais on pourrait concevoir que les sociétés qui perçoivent des ressources publiques nécessitent elles aussi un contrôle spécifique par le Cac du dépôt de leurs comptes annuels. A fortiori quand l’usage de ces ressources n’est pas complètement libre. A ce sujet, on peut se souvenir des entreprises qui ont bénéficié de l’ancien crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (Cice). Son usage devait — théoriquement — être retracé dans les comptes annuels afin de vérifier qu’il était conforme à l’objectif assigné (article 66 de la loi n° 2012-1510). Lesquels comptes devaient, pour certaines de ces entreprises, être publiés. Théoriquement.

Transparence des entreprises ayant touché des aides Covid

Plus récemment, un élément significatif est apparu, celui des aides publiques massives injectées pour aider les entreprises à faire face à la crise sanitaire. « Les quatre principales d’entre elles – activité partielle, fonds de solidarité, prêts garantis par l’État et reports de cotisations sociales – mobilisaient 230 milliards d’euros à la fin juin 2021, soit 10 % du PIB français », rapportait l’année dernière le comité de suivi et d’évaluation des mesures de soutien aux entreprises confrontées à l’épidémie de Covid-19.

Dans ce contexte, ne serait-il pas d’autant plus pertinent que chaque citoyen qui le souhaite puisse — théoriquement — se faire une idée de la situation financière et des performances des entreprises qui ont bénéficié d’aides publiques anti-crise ne serait-ce qu’à partir d’un certain montant ? De ce point de vue-là, le respect de la publication des comptes annuels, par exemple par un contrôle spécifique du commissaire aux comptes, pourrait être examiné. Avec toutefois une limite de taille, celle de la présence du Cac qui n’est rendue obligatoire qu’à partir de certains seuils…

Quelle réponse européenne ?

Enfin, le développement des obligations de publication en matière de RSE pour certaines entreprises — notamment via le futur rapport standardisé de durabilité que l’Union européenne est en train d’élaborer — interroge sur la politique européenne en matière de transparence du reporting des entreprises. La volonté affichée par l’Union européenne est-elle crédible alors qu’elle semble fermer les yeux sur les nombreuses sociétés qui camouflent illégalement leurs comptes annuels.



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