« Pour rendre les seniors attractifs, il faut développer un nouveau management des âges, en ciblant les secondes parties de carrières »


Le gouvernement n’a pas mis en place de réforme systémique, un régime universel à points, mais une réforme paramétrique avec une borne d’âge à 64 ans en 2030. Ce report de l’âge légal est-il la seule option pour rééquilibrer le régime des retraites ?

Il existe un gap important entre l’âge effectif de sortie du marché du travail et l’âge de liquidation de la retraite

Le principe d’une borne d’âge et d’une durée minimale de cotisations sont des totems de longue date. Emmanuel Macron avait pourtant déclaré, au début de son premier quinquennat, en 2017, qu’une réforme paramétrique « rognait les droits sans ouvrir de perspectives ». Mais il n’a pas dérogé à ce principe. De plus, aucune étude, aucun chiffrage ne vient confirmer que le report de l’âge envisagé est le bon levier et produira l’effet escompté pour équilibrer les retraites.

Dans une société vieillissante, l’allongement de la vie active est certes le meilleur paramètre pour répondre aux besoins de financement des retraites. Cet allongement procure un double dividende : l’élargissement du nombre de cotisants et la diminution du nombre de pensionnés.

Or, jusqu’ici, les différents reports d’âge de liquidation de la retraite n’ont pas correspondu à un allongement de la vie active. En effet, il existe un gap important entre l’âge effectif de sortie du marché du travail (autour de 60 ans) et l’âge de liquidation de la retraite (62,5 ans). Seulement 53 % des seniors sont en emploi au moment où ils liquident leur retraite. L’autre moitié n’est ni en emploi, ni en retraite et bénéficie de prestations sociales tel chômage, invalidité, minima sociaux. Dans ces conditions, on ne gagne rien en termes d’équilibrage des comptes sociaux.

Le report de l’âge de liquidation de la retraite ne fera que transférer à d’autres budgets sociaux la couverture de la nouvelle précarité.

L’Index seniors ne sera pas suffisant, selon vous, pour amorcer un changement de comportement ?

Ce volet marché du travail est totalement absent de la réforme 

Je ne pense pas que ce dispositif puisse inverser la tendance. Les politiques coercitives sont souvent contre-productives : elles ont pour conséquence d’ériger les seniors en problème, en segmentant les différentes générations qui cohabitent dans l’entreprise. Autrement dit, il faut travailler sur la gestion des âges et non pas uniquement sur la gestion des seniors.

Ce volet marché du travail est totalement absent de la réforme. On ne peut que le déplorer. Car l’OCDE souligne dans ses travaux que les pays qui ont réussi à prolonger la vie active et donc à équilibrer leurs comptes sociaux en dépit du vieillissement de la population sont ceux qui ont su associer une réforme des retraites et une adaptation des politiques du travail et de l’emploi afin de rendre possible et attractive la prolongation de la vie de travail.

Que préconisez-vous ?

Les dispositions proposées dans la réforme sur la pénibilité au travail sont loin d’être suffisantes 

Pour rendre les seniors attractifs, il faut développer un nouveau management des âges ; en ciblant les secondes parties de carrières afin de s’assurer que les quadras d’aujourd’hui auront les compétences nécessaires pour exercer les métiers demain et qu’ils contribueront, eux aussi, à la compétitivité de l’entreprise.

On ne peut pas attendre les dernières années de vie professionnelle d’un salarié pour se préoccuper des questions d’usure professionnelle. Si aucun dispositif de prévention n’est actionné en amont, les marges de manœuvre seront plus réduites et les travailleurs usés et démotivés risque de peser sur la compétitivité de l’entreprise. La question de la prise en compte de la pénibilité du travail se pose avec acuité lorsqu’on veut prolonger la vie de travail. Les dispositions proposées dans la réforme sont loin d’être suffisantes.

Le prolongement de la vie active n’est possible que si le travail est rendu « soutenable ». Et il n’y a pas de miracle : dans les pays européens qui ont réussi à augmenter le taux d’emploi des seniors, il existe bien une corrélation forte entre qualité du travail et allongement de la vie active.

Ce souci d’évolution de carrière est important. On ne doit plus gérer les ressources humaines par tranche d’âge mais via les parcours professionnels. Il faut aider les entreprises à se saisir de ces sujets.

Comment ?

Trois générations cohabitent aujourd’hui dans les entreprises. Il faut trouver les complémentarités

En développant le management intergénérationnel. Trois générations cohabitent aujourd’hui dans les entreprises. Il faut trouver les complémentarités, les coopérations entre les différentes générations pour qu’elles puissent travailler plus efficacement. Certains seniors ont de l’expertise, des compétences utiles à transmettre, encore faut-il les repérer, voir en quoi elles peuvent être utiles au développement de l’organisation. Il faut anticiper et organiser tout cela. La gestion des âges et le management intergénérationnel devraient être érigés au rang de cause nationale. Selon une étude de l’Apec, 25 % des cadres de plus de 50 ans estiment avoir un risque de licenciement. Autrement dit, ils se trouvent sur un siège éjectable. Ils ont pourtant 14 ans devant eux, dans une indécision totale, avant de pouvoir liquider leur retraite. Il faut au contraire donner un avenir au travail pour ces seniors. Sinon ils ne peuvent que regarder vers la sortie en essayant de saisir les occasions les moins mauvaises.

Les entreprises assurent travailler sur la gestion des âges…

Les pouvoirs publics devraient mieux accompagner toutes les entreprises selon des formes incitatives et non répressives 

Certains grands groupes le font mais les PME n’en ont pas les moyens. De plus je suis convaincue que les pouvoirs publics devraient dans ce domaine mieux accompagner toutes les entreprises selon des formes incitatives et non répressives. Les politiques publiques pourraient, par exemple, aider les PME à concevoir des politiques de turnover rapide hors des emplois pénibles. Également, elles pourraient aider à encourager des mobilités de fins de carrière plus horizontales, en contrepartie d’autres gratifications que le salaire, par exemple un aménagement du temps de travail. Vous pouvez aussi imaginer développer ce type de parcours sur les bassins d’emploi. Il y a des accords gagnant-gagnant à trouver.

Le dispositif « carrières longues », prévu par le gouvernement, est-il suffisant ?

Cette réforme est inéquitable, voire anti-sociale 

Cette réforme est inéquitable, voire anti-sociale. Certes, le dispositif « carrières longues » est conforté ; les personnes ayant commencé avant 18 ans pourront partir jusqu’à quatre ans avant l’âge légal et donc dès 60 ans. De même, ceux qui ont débuté avant 16 ans pourront partir à 58 ans. Mais dans les deux cas, ils devront avoir cotisé 44 ans pour éviter la décote. Or, ce sont souvent des personnes qui ont exercé des métiers usants, peu qualifiés. Il est inique de leur imposer une année de plus de cotisation pour accéder au droit commun d’avoir une pension pleine après 43 ans de cotisation.

 

Anne-Marie Guillemard est également auteure de « Allongements de la vie. Quels défis ? Quelles politiques ? » (La Découverte, 2017); « Les défis du vieillissement » (Armand Collin, 2010); « Où va la protection sociale? » (PUF, 2010).



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