L’amortissement fiscal des fonds commerciaux acquis entre 2022 et 2025, un cadeau empoisonné pour les petites entreprises ?


On sait que la comptabilité et la fiscalité ne font pas toujours bon ménage. Car le principe, en droit français, de la connexion entre les deux domaines souffre de nombreuses exceptions. L’amortissement du fonds commercial fait partie de ces divergences potentielles. La loi de finances pour 2022 tente — provisoirement — de l’enterrer. Le nouvel article 39 du code général des impôts prévoit que « sont admis en déduction les amortissements constatés dans la comptabilité des entreprises au titre des fonds commerciaux lorsqu’ils sont acquis à compter du 1er janvier 2022 et jusqu’au 31 décembre 2025 ». Mais ce n’est qu’une dérogation, provisoire donc, au principe selon lequel l’amortissement du fonds commercial n’est pas déductible — ce principe relève de la loi depuis la loi de finances pour 2022 (article 23) ; auparavant, il relevait uniquement du domaine réglementaire (cf article 38 sexies de l’annexe 3 du code général des impôts).

Une option comptable…

Le fonds commercial est présumé avoir, d’un point de vue comptable, une durée d’utilisation illimitée (article 214-3 du PCG). Cet actif incorporel est donc présumé non amortissable. Cette présomption est réfutée lorsque la durée d’utilisation est limitée. Il est donc dans ce cas amorti.

Les petites entreprises peuvent aussi — c’est une disposition qui leur est spécifique — opter pour la mesure comptable dite de simplification qui leur permet d’amortir sur 10 ans cet actif incorporel (article 214-3 du PCG) — une petite entreprise dans ce contexte est une entreprise qui ne dépasse pas deux des trois seuils suivants  : 12 millions d’euros de chiffre d’affaires, 6 millions d’euros de bilan et 50 salariés (cf articles L 123-16 et D 123-200 du code de commerce). Cette option, qui peut être levée à tout moment, doit être « appliquée de manière prospective à tous les fonds commerciaux inscrits au bilan au moment de son adoption », impose le PCG. Ce dispositif mérite d’être examiné au regard du nouveau cadre fiscal.

L’amortissement comptable d’un fonds commercial acquis par une petite entreprise entre 2022 et 2025 est-il fiscalement déductible lorsque l’entreprise opte pour la mesure comptable dite de simplification d’un amortissement sur 10 ans ? On peut émettre l’hypothèse que la réponse est affirmative. Car, d’une part, le nouvel article 39 du CGI fixe comme seule condition à la déductibilité que l’amortissement soit constaté dans la comptabilité. Et, d’autre part, l’avis de 2021 du conseil d’Etat, bien qu’il considère que la levée de cette option comptable ne suffit pas à rendre l’amortissement fiscalement déductible, ne devrait pas remettre en question le régime dérogatoire de la déductibilité de l’amortissement du fonds commercial (pour les fonds acquis entre 2022 et 2025) dans la mesure où l’avis s’applique à un cadre juridique (différent) antérieur à la loi de finances pour 2022.

… pas forcément intéressante

La levée de cette option comptable durant cette période dérogatoire pose toutefois question quant à son intérêt si la petite entreprise a acquis un fonds commercial avant 2022 et/ou si elle en achète après 2025. Prenons l’exemple d’une petite entreprise ayant acquis un fonds commercial en 2020. Cet actif incorporel n’est pas amorti à l’origine. Puis elle achète un autre fonds commercial en 2023 et décide alors de lever l’option dite de simplification comptable de l’amortissement sur 10 ans. En raison de l’application prospective de cette option, l’entité doit amortir (au plan comptable) tous les fonds commerciaux (celui acquis en 2020 et celui acquis en 2023) présents au bilan mais seul celui acquis en 2023 sera déductible fiscalement. L’intérêt de lever l’option comptable est donc à étudier car l’amortissement comptable non déductible sur le fonds acquis en 2020 va diminuer les bénéfices de l’entreprise sans améliorer sa capacité d’autofinancement (CAF), ce qui va réduire voire annuler l’amélioration de la CAF générée par l’amortissement fiscal du fonds commercial acheté en 2023 — un autre aspect est à considérer, celui de la dispense de devoir effectuer à chaque exercice un test de dépréciation sur le fonds commercial non amorti.

Imaginons que cette même entreprise achète ensuite un fonds commercial supplémentaire par exemple en 2026. Ce nouvel actif incorporel doit-il être amorti comptablement en vertu de la mesure dite de simplification comptable qui doit s’appliquer à l’amortissement de tous les fonds commerciaux ? La question est importante car si la réponse est affirmative, l’amortissement de ce nouvel actif incorporel est non déductible.

Dans une note récente consacrée à l’amortissement et à la dépréciation du fonds commercial (note n° 2022-01), le Conseil supérieur de l’Ordre des experts-comptables (CSOEC) souligne que « le PCG ne précise pas si une entité peut décider ultérieurement, au titre de nouveaux fonds commerciaux qui seraient inscrits à l’actif, s’il est possible de renoncer à cette mesure de simplification [c’est à dire l’amortissement sur 10 ans des fonds commerciaux acquis par une petite entreprise] pour appliquer aux nouveaux fonds commerciaux les règles générales. Certains praticiens considèrent que la mesure de simplification d’amortissement du fonds commercial sur 10 ans ne constitue pas une méthode comptable soumise au principe de permanence et qu’il est de ce fait possible de retenir d’autres règles d’amortissement pour lesdits nouveaux fonds commerciaux », ajoute-t-il sans exprimer d’avis tranché sur ce sujet. Bref, l’intérêt de cette option comptable offerte aux petites entreprises est à étudier avec prudence afin qu’elle ne devienne pas un cadeau empoisonné.



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