Le goodwill, un écart d’au moins 9000 milliards de dollars


Cent trente cinq milliards de dollars pour le géant des télécoms Icône PDFAT&T, cent vingt et un milliards de dollars pour le brasseur Icône PDFAB Inbev, soixante-dix huit milliards de dollars pour l’empire Icône PDFDisney, cinquante quatre milliards de dollars pour le groupe pharmaceutique Icône PDFSanofi, cinquante milliards de dollars pour l’éditeur de logiciels FichierMicrosoft… Ces chiffres représentent les goodwills enregistrés au bilan de ces multinationales — il s’agit des valeurs nettes comptables, selon le cas à la fin de l’exercice 2020 ou 2021.

A l’échelle mondiale, le total frôle 9 000 milliards de dollars rien que pour les groupes cotés en bourse, révèle l’étude Icône PDFGift 2021 récemment publiée par le cabinet comptable Brand Finance (voir ci-dessous la méthodologie) — les sommes en jeu sont donc plus importantes si l’on tient compte des groupes absents des marchés financiers. Mais une question se pose, pour laquelle nous n’avons pas de réponse, celle de savoir si la valeur relative du goodwill, par exemple si l’on rapporte cet actif incorporel au total du bilan, a progressé.

 

Source : Brand Finance Gift 2021 / Actuel-expert-comptable. L’étude porte sur les entités cotées sur les marchés financiers couvertes par Bloomberg pour lesquelles des données suffisantes sont disponibles. Certaines données complémentaires, qui ne figurent pas dans l’étude, nous ont été communiquées par Brand Finance.

Au moins 1 602 milliards d’euros dans l’Union européenne

Justement, une étude à l’échelle européenne montre que le goodwill a augmenté ces dernières années à un rythme presque deux fois supérieur à celui des bilans. Selon Icône PDFl’Efrag (european financial reporting advisory group), organe qui conseille la commission européenne sur les IFRS, la valeur nette comptable des écarts d’acquisition s’élève à 1 602 milliards d’euros en 2019 contre 1 074 milliards d’euros 6 ans plus tôt, soit une augmentation d’environ 49 % — l’étude se base sur 1 477 entreprises cotées dans l’Union européenne. Dans le même temps, le total des actifs est passé de 27 001 milliards d’euros à 33 713 milliards d’euros, soit une progression de près de 25 %. Mais si l’on compare l’évolution du goodwill à celle de la capitalisation boursière, on arrive à des résultats assez proches, respectivement + 49 % et + 43 %.

 

Source : Icône PDFEfrag / actuel-expert-comptable. L’étude porte un échantillon de 1 477 entreprises cotées sur un marché boursier de l’Union européenne.

 

Modification des cadres comptables

Il n’en reste pas moins que cet actif incorporel a considérablement augmenté à l’échelle mondiale en 25 ans. Selon Brand Finance, sa valeur nette comptable n’affichait, dans les comptes des entités cotées étudiées, que 20 milliards de dollars en 1996 contre donc près de 9 000 milliards de dollars en 2021. Comment expliquer une telle progression ? Plusieurs questions se posent sans que nous ne puissions apporter de réponse étayée.

Parmi les pistes d’explication, il y a celle du rôle éventuellement joué par le (s) cadre (s) comptable (s). Le concept du goodwill n’a pas fondamentalement évolué : cet actif représente l’écart entre le prix auquel une entreprise est achetée et sa valeur nette comptable. Mais au début des années 2000, les principaux normalisateurs comptables ont changé la règle de constatation de sa perte de valeur. En 2001, le normalisateur comptable des Etats-Unis, le Fasb (financial accounting standards board), a supprimé l’amortissement obligatoire de cet actif incorporel pour le remplacer par un test de dépréciation (pour plus d’explications, voir Icône PDFce document). Une voie suivie peu après par le normalisateur comptable dit international. En 2004, l’IASB (international accounting standards board) a lui aussi retiré l’amortissement obligatoire de cet actif (pour plus d’explications, voir Icône PDFce document) pour basculer dans la seule (provision pour) dépréciation — l’ancien système de l’amortissement pouvait parfois être complété par une dépréciation.

Too little, too late ?

Actif justifié pour les uns, bulle comptable pour les autres, l’écart d’acquisition est de nouveau en débat, à l’IASB et au Fasb. Un des sujets majeurs est que « la dépréciation du goodwill est parfois reconnue trop peu et trop tard », comme le résume l’Esma (european securities and markets authority), l’autorité européenne des marchés financiers dans Icône PDFun courrier adressé fin 2020 à l’IASB après que ce dernier ait diffusé un document de réflexion sur ce sujet (Icône PDFDiscussion paper portant sur les Business combinations – disclosures, goodwill and impairment). Et l’Esma d’ajouter que « si l’IASB confirme sa conclusion préliminaire selon laquelle l’actuel test de dépréciation ne peut pas être amélioré de manière significative à un coût raisonnable pour les émetteurs, [l’IASB] devrait explorer la réintroduction éventuelle de l’amortissement du goodwill ».

Aujourd’hui, le normalisateur comptable dit international n’a pas choisi entre le retour de l’amortissement ou le maintien de la dépréciation. Il était pourtant Icône PDFquestion qu’il prenne position, de façon provisoire, le mois dernier mais des membres du board de l’IASB ont demandé d’approfondir certains aspects tels que la faisabilité de l’estimation de la durée de vie du goodwill. Du côté du normalisateur comptable américain, le dossier est davantage avancé. Fin 2020, il a décidé, de façon provisoire, de réintroduire l’amortissement de l’écart d’acquisition en principe sur une période de 10 ans. Mais près de 10 mois plus tard, le dossier n’est toujours pas bouclé.



Source de l’actualité